Bobards et com : comment Blanquer manipule l’info sur ses réformes

Notre cher ministre aime à communiquer sur les "bobards" des enseignants à propos de sa loi - loi qu'il avait d'ailleurs promis de ne pas faire - ; or, c'est toute la communication ministérielle au sujet des évaluations de CP ainsi que sur les dédoublements en REP qui est une manipulation éhontée...

Blanquer et les bobards

Lors des débats parlementaires, Jean-Michel Blanquer avait accusé les syndicats enseignants de propager des « bobards » sur les modifications apportées par la loi Blanquer : « En tant que responsable public vous passez maintenant une part non négligeable de votre temps à devoir rectifier des bobards », s’est-il emporté jeudi 28 mars.  »

Source : interview de Jean-Michel Blanquer sur France Inter

Il a ensuite précisé : « Semaine après semaine, on met un coup de projecteur sur l’un des aspects de la loi et c’est parfois décrit de manière un peu caricaturale ». « La semaine dernière il y a des gens qui ont prétendu qu’on voulait supprimer les écoles maternelles. J’ai dit que c’était un bobard, et je tiens à être solennel sur ce point. […]  Vous avez des gens qui n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école maternelle pour faire ‘école morte’ pour protester contre une mesure qui n’existe pas », a assuré le ministre de l’Éducation nationale.

Jean-Michel Blanquer n’a pas tout à fait tort : les organisations syndicales et les parlementaires qui cherchent à mobiliser en accentuant artificiellement les clivages jouent un jeu dangereux. Propager des intox comme celle de la disparition prochaine des écoles maternelles est bien sûr stupide ; d’autant que cela permet au ministre de jeter la suspicion sur l’ensemble des syndicats à peu de frais. Au Sgen-CFDT Alsace, ce n’est pas notre conception de la démocratie et du débat public.

Ceci dit, Jean-Michel Blanquer ferait bien de s’appliquer à lui-même ce qu’il demande aux autres : sa communication ministérielle réglée au millimètre ne cesse en effet de diffuser des « bobards » éhontés, destinés à justifier sa politique.

Les bobards de Blanquer sur la réforme des lycées

Dans les médias où il est régulièrement invité, notamment France Inter, le ministre de l’Education Nationale ne cesse de dérouler les bienfaits de sa réforme du lycée. Il bénéficie pour cela de la bienveillance de journalistes, le plus souvent mal renseignés, qui ne prennent pas la peine de le contredire. Le ministre peut ainsi sous-entendre tranquillement que le choix des spécialités est totalement libre ou qu’un élève pourra changer facilement de spécialités entre la Première et la Terminale. Il prête ainsi à sa réforme une souplesse que les moyens alloués ne lui permettent certainement pas d’avoir ! Il insinue aussi subtilement que tous les élèves pourront suivre un enseignement de mathématiques (3h, 6h ou 9h) ce qui n’est vrai qu’en Terminale, avec le jeu des options, et non en Première.

Enfin, il affirme que la 2ème heure supplémentaire imposable permettra à la fois de résoudre les problèmes d’effectifs enseignants et d’augmenter le pouvoir d’achat, comble de la manipulation !

Source : interview de Jean-Michel Blanquer sur France Inter le 28 mars 2019

bobards

Les bobards de Blanquer sur les évaluations CP

Plus subtilement, pour les non initiés, le ministre met au pas toute velléité d’évaluation indépendante des réformes mises en place dans l’Education Nationale. Il est en effet entrain de supprimer le CNESCO, qu’il remplace par un Conseil Scientifique de l’Éducation nationale où tous les membres sont nommés par lui, et il veille à ce que les publications de la DEPP ne nuisent pas à sa communication.

Le résultat de ces manœuvres est une évaluation forcément positive des évaluations imposées à tous les CP de France. La DEPP a ainsi publié des études montrant qu’il y aurait 20% d’élèves en difficulté en moins depuis que notre génial Blanquer est aux manettes… SAUF que les seuils de réussite à certaines questions ont été abaissés de manière ridicule... Roland Goigoux a ainsi décrypté de manière très précise et documentée la communication ministérielle ; en voici un court extrait :

« Trois exemples sont, selon nous, très significatifs :

1.         L’exercice de comparaison de suites de lettres était si difficile que la DEPP a fixé le seuil minimal à 3 réussites seulement sur 24 items. Grâce à ce procédé, elle a pu réduire le nombre d’élèves « à besoin » (seuil n° 1) à 5,5 % de la population et à 13,1% la proportion de « fragiles » (seuil n°2 : 8 réussites sur 24 suffisaient).

2.         De la même manière, le seuil n° 1 de l’épreuve de manipulation de phonèmes a été fixé à 2 réussites sur 15 items (5,4 % d’élèves « à besoin ») pour masquer son inadéquation aux compétences attendues à la fin de l’école maternelle. Au total, 23 % des élèves sont jugés « en difficulté » lorsqu’ils réussissent moins de 6 items sur 15. Cette épreuve, remplie de pièges sémantiques et phonologiques, visait elle aussi à évaluer la maitrise de compétences dépassant largement les attendus du programme. Seuls les élèves déjà quasi-lecteurs pouvaient la réussir entièrement.

3.         Inversement, pour ne pas avoir à reconnaitre que les élèves avaient besoin d’un enseignement de la compréhension de récits à l’école maternelle et au CP, le ministère a artificiellement fait baisser les seuils de réussite dans l’épreuve de compréhension de quatre textes entendus au début du CP. En considérant qu’il suffisait de répondre correctement à 7 questions sur 18 pour passer au-dessus du seuil n° 2, le ministère a pu conclure que cette épreuve était réussie par plus de 90 % des élèves. Inutile d’en faire une priorité d’enseignement à l’école maternelle, ni de remédiation au cours préparatoire, puisque seuls 9,8 % d’élèves étaient en difficulté ! CQFD. »le dédoublement des classes est une mesure modérément efficace qui a un coût très élevé

Lire l’article complet de Roland Goigoux sur le Café Pédagogique

Pour le Sgen-CFDT Alsace, cela montre la manipulation qui est à l’œuvre à l’Education Nationale, celle-ci étant le résultat direct de la mise sous tutelle ou de la suppression de tous les organismes indépendants (CSP – Conseil Supérieur des Programmes, CNESCO…) de l’Éducation nationale !

Les bobards de Blanquer sur les dédoublements des CP

Dernier exemple, tout aussi préoccupant, est la soi-disant étude démontrant l’efficacité formidable des dédoublements des classes de CP de REP et REP+, étude reprise sans esprit critique par nombre de « journalistes » (voir par exemple ici). Dans le résumé de l’étude de la DEPP (la seule partie que certains journalistes lisent), il est ainsi affirmé de manière un peu ridicule que « Les premiers résultats du dédoublement des CP en REP+ sont positifs. Ils sont conformes aux études françaises et internationales qui établissent un lien entre baisse très significative du nombre d’élèves par classe et amélioration des résultats des élèves dans les petites classes. […] et que tous les objectifs (amélioration du climat scolaire, des conditions de travail des profs, la personnalisation de l’enseignement et le renforcement de la formation des profs) ont été atteints. (sic).

 

Or ces résultats ne sont pas bons comparés à d’autres dispositifs moins coûteux tels que Plus de Maîtres que de Classes. Une étude danoise montre que d’affecter des enseignants surnuméraires dans les classes bénéficie à plus d’élèves et se montre tout aussi efficace que les dédoublements CP. Cela permet à Roland Goigoux d’affirmer dans le Café Pédagogique :  « Sur le plan international, les chercheurs ont établi que, dans le meilleur des cas (qui n’est pas le nôtre), le dédoublement des classes est une mesure modérément efficace qui a un coût très élevé. Si un véritable débat sur l’efficience des politiques publiques était organisé, on comparerait le rapport coût-efficacité de plusieurs dispositifs innovants. Par exemple, l’impact du dédoublement avec celui du dispositif « Plus de maitres que de classes » (PMQC) qui, à coût comparable, touchait sept à huit fois plus d’élèves sous le précédent gouvernement. Imaginons que l’effet de ce dispositif ait été lui aussi modeste mais avéré : sachant qu’il bénéficiait à beaucoup plus d’élèves à coût équivalent, qu’en auraient conclu les citoyens ? »

 

Le Sgen-CFDT avait été très critique sur cette mise en place qui se faisait au détriment du dispositif « Plus de Maitre que de Classes«  (PDMQDC). Or, alors que l’évaluation, forcément positive des dédoublement est sortie très rapidement des bureaux du ministère, celle du dispositif PDMQDC n’est toujours pas au programme. Serait-elle interdite de publication par le ministre ? Le doute pour le moins est permis…

 

Pour conclure, on peut dire qu’à force de se poser en maître de la vérité, tout en multipliant les intox, le ministre s’est tiré une balle dans le pied : beaucoup d’enseignants, de parents ne lui font plus confiance, et on les comprend… Certains se mettent à manipuler aussi l’information en diffusant les fameux « bobards » contre lesquels s’est insurgé Jean-Michel Blanquer. On peut dire qu’à ce jeu là, « tel est pris qui croyait prendre… ». Mais qui fera les frais de tous ces bobards ? C’est l’Éducation nationale tout entière, ce qu’on ne peut que regretter…