Réforme du lycée : un an de marche forcée

Un an après les annonces du ministre, les incohérences majeures de la réforme du lycée et du bac général et technologique, dénoncées depuis le début par le Sgen-CFDT, n'ont pas été traitées. État des lieux.

Depuis l’annonce du lancement d’une réforme du bac et du lycée à la rentrée 2018, le Sgen-CFDT a été la seule organisation à porter une grille de lecture globale  pour étayer ses propositions et ses critiques :

  • Le nouveau lycée sera-t-il plus juste socialement ?
  • Les parcours des élèves seront-ils plus diversifiés et dans un continuum bac-3/bac+3 ?
  • Les conditions de travail des enseignant·es seront-elles améliorées ?

C’est en fonction de ces axes que le Sgen-CFDT a voté l’an dernier contre les arrêtés organisant le nouveau bac et le nouveau lycée général et technologique. Et c’est en fonction de ces axes qu’il continue à agir syndicalement sur la mise en œuvre de ces textes et à demander a minima le report de la réforme pour la classe de 1ère à la rentrée 2020.

En résumé, notre analyse pour chacune des trois questions :

  • Le nouveau lycée sera-t-il plus juste socialement ?

Un statu quo plus que probable en terme d’inégalités sociales et scolaires

Ségrégations existantes

Le Sgen-CFDT a souligné que le maintien des trois voies allait pérenniser les ségrégations existantes : le ministre fait mine d’ignorer cette réalité quand il affirme que sa réforme va réduire les inégalités. Les critiques qui affirment que ce projet, en imposant des choix précoces, va creuser les inégalités sociales reposent paradoxalement sur une amnésie de même nature : elles oublient en effet le tri social et scolaire qui existe en fin de 3ème au moment de l’orientation vers la voie professionnelle ou en fin de 2nde entre voie générale et technologique et entre les séries.

Entonnoir

Si la suppression des séries est a priori une mesure positive, la précipitation dans la mise en œuvre a toutes les chances de créer une « dépendance au sentier » amenant la reconstitution d’une hiérarchie de parcours, avec son architecture en entonnoir (voir ci-dessous) sans droit à l’erreur ou à l’exploration. La définition de la carte des spécialités a quant à elle reproduit la situation existante et donc les différences entre lycées, sans fondamentalement la modifier.

Auto-censure des élèves

Un facteur d’inégalité clairement identifié reste l’auto-censure des élèves dans leur choix d’orientation suivant leur origine sociale ou géographique. Traiter cette problématique nécessiterait des dispositifs ambitieux d’accompagnement, mais le choix a été fait de mettre plutôt des moyens sur les heures de cours, dans une vision somme toute très traditionnelle de l’école.

  • Les parcours des élèves seront-ils plus diversifiés et dans un continuum bac-3/bac+3 ?

Des parcours élèves toujours aussi incertains

Les moyens

Pour le ministre, le point central de la réforme, c’est que les parcours des élèves seront moins contraints qu’avant, plus adaptés à leurs goûts et compétences et préparant mieux à la diversité des formations du supérieur. Mais une note récente aux recteurs confirme les effets délétères des suppressions de postes. En effet, faute d’un nombre de groupes de spécialités suffisant pour répondre aux choix des élèves, une procédure de tri sur les notes est prévue, en contradiction même avec la logique de suppression des séries.

La question des moyens ne doit cependant pas masquer le problème de l’architecture même du lycée.

L’architecture

Il faudrait, pour prétendre réaliser des parcours diversifiés, admettre le droit à l’erreur et les cheminements variés. Or la structuration en 3 spécialités en classe de 1ère puis 2 en classe de Terminale annonce plus un système d’entonnoir qui enferme qu’un parcours ouvert de lycée modulaire. Pourquoi ne pas permettre un système de majeures /mineures, comme  rapport Mathiot le préconisait, ou en tout cas un système « mixte » avec la possibilité d’approfondir les spécialités (2x6h), de garder une certaine polyvalence (3 spécialités en Terminale, x 4h), voire de reprendre en Terminale une spécialité de première (2 spécialités de  Terminales x 4h + 1 Spécialité de 1ère de 4h) ? Les parcours des élèves auraient ainsi pu être moins contraints, et les inquiétudes liées aux choix des spécialités moins vives.

Le parcours bac -3 bac+3

Parallèlement, affirmer que la nouvelle architecture permettra de mieux préparer au supérieur reste pour l’instant un pari. Le travail sur l’articulation entre compétences transversales acquises et compétences transversales attendues en post-bac n’en est qu’à ses débuts, faute de travail interministériel préalable. Il n’y a ainsi pas de lisibilité claire pour les personnels, les élèves et leurs familles sur les parcours et leurs « possibles ».

Pour l’instant rien n’assure aux élèves que les choix qu’ils feront, hors reproduction des combinaisons actuelles, leur ouvriront plus de filières, ou garantiront de mieux réussir après le Bac. Les combinaisons « originales », permises en théorie, offriront-elles à ces élèves des profils qui seront recherchés par les filières du supérieur ? Si oui, pourquoi et quand ? Comment sortir, pour les élèves, d’une vision théorique de ce qui serait des parcours intéressants, sans avoir l’assurance que ces nouvelles combinaisons ne les pénaliseront pas ? En clair, comment sortir des « réflexes » induits par des dizaines d’années de domination des filières sélectives ?

En particulier sur les maths complémentaires, quel sera le rôle de cette option ? Sera-t-elle ouverte aux élèves ayant abandonné la spécialité maths en fin de 1ère, mais également à ceux qui n’ont pas pris la spécialité maths ?

Le choix des spécialités des élèves

Le Sgen-CFDT se félicite que « le choix des enseignements de spécialité incombe aux aux parents et à l’élève » mais la lettre de cadrage envoyée par la DGESCO aux Recteurs d’académie est inacceptable. En effet, il est précisé que si les demandes excède le nombre de places de la spécialité, « les élèves seront départagés selon les recommandations du conseil de classe et les notes de l’élève en lien avec les enseignements de spécialité demandés.« 

Une réforme pour supprimer la hiérarchie des séries et arriver à ça!!!…

La réforme vue du côté des conditions de travail

Pour tous les personnels, la conduite de la réforme s’affirme comme un mépris du dialogue, de l’écoute, de l’élaboration concertée. Les décisions sont unilatérales et exclusivement descendantes, elles sont ressenties de façon très violentes par tous les acteurs de terrain.

Les Personnels de Direction

Ce sont sans doute les personnels les plus exposés, entre les injonctions de l’institution et la colère dans les établissements.

Les moyens qui sont attribués aux établissements ne permettent pas aux personnels de direction de mettre en œuvre une réforme précipitée dont ils subissent de plein fouet toutes les incohérences et toutes les errances.

Les enseignants

Les premiers interlocuteurs des élèves et des familles sont mis à rude épreuve :

  • Des mesures gouvernementales, distinctes de la réforme (2ème HSA imposable à tou·te·s, les suppressions de postes), créent un véritable climat d’insécurité et des tensions multiples, incompatibles la mise en œuvre d’une réforme quelle qu’elle soit…
  • De nouveaux enseignements auxquels il faut se former dans l’urgence : SNT (Sciences Numériques et Technologie), NSI (Numérique et Sciences Informatiques), Humanités, Langues-Littérature, Géopolitique….
  • Des programmes qui viennent de paraître et que les enseignants doivent maîtriser pour la rentrée prochaine…
  • Des évaluations à venir qui seront très contraignantes  : anonymisation, harmonisation, échange de copies…